Ambitieuse et passionnante, l’exposition du Louvre-Lens replace Rubens dans le contexte géopolitique et religieux de son époque.
Après une première exposition temporaire consacrée à la Renaissance en 2012, le Louvre-Lens offre ses cimaises à Pierre Paul Rubens (1577-1640). Un thème là encore séduisant, susceptible d’attirer dans les salles le grand public attendu dans la galerie du Temps. Pour autant, le nom du maître n’est pas bradé et le propos scientifique déroutera même sans doute au premier abord les amateurs du peintre venus pour les chairs rosées de ses nus féminins ou les ciels tourmentés de ses paysages. Car le Rubens dont il est ici question n’est pas le célèbre chef d’un atelier gigantesque – peu détaillé dans l’exposition – ou l’amoureux des madones plantureuses. Il est avant tout un artiste politique. Partisan des Habsbourg, dévoué défenseur de la Contre-Réforme, l’homme parcourt à leur service une Europe qu’il rêve monarchique et catholique. Les premières salles posent le décor, celui des cours au sein desquelles évoluent le peintre et ses rivaux. Parmi les portraits d’Anne d’Autriche (Rubens, vers 1622, Musée du Prado), de Grégoire XV (le Bernin, 1622, Musée Jacquemart-André) ou de Charles Ier d’Angleterre (Van Dyck, 1738, Musée du Louvre), la très belle Jeune femme tenant un rosaire (Rubens, vers 1609, Musée Thyssen-Bornemisza) arrête le regard. Son visage animé, aux joues rosies et aux yeux lucides, contraste de façon saisissante avec la raideur de son pesant costume aristocratique.
Une conception en noir et blanc
À l’image de cette première section, l’exposition tout entière multiplie les confrontations entre les techniques et les artistes, le tout servi par des œuvres prêtées par les plus grands musées internationaux. Outre la présence de toiles magnifiques, dont le Prométhée supplicié (Rubens, 1618, Philadelphia Museum of Art), les très nombreux dessins et gravures apportent un éclairage fondamental sur les méthodes de travail du peintre. « C’est l’un des aspects que nous tenions à souligner » , explique Blaise Ducos, conservateur au département des Peintures du Musée du Louvre et commissaire de l’exposition. « Rubens, que l’on qualifie toujours de coloriste, a passé son temps à penser en noir et blanc, à faire du trait. […] L’un de nos buts est de le sortir du discours habituel sur le feu d’artifice baroque. »
C’est également au travers de la gravure que se diffuse en Europe le style rubénien, ce goût nourri de diverses influences auxquelles est également consacré un chapitre de l’exposition. Organisée autour du thème du corps, la section dissèque les différentes inspirations du maître, du moins celles venues d’Italie : Michel-Ange bien sûr, dont il copie les nus musculeux, Titien, la statuaire antique, mais aussi la science médicale de l’époque et ses planches d’anatomie. Si la pédagogie n’est pas toujours le point fort d’un parcours au propos relativement ardu, les comparaisons proposées ici sont des plus explicites. Études de Michel-Ange, sculptures et dessins d’écorchés et croquis de Rubens se répondent, tandis que sa Vénus et l’Amour (vers 1615, Musée Thyssen-Bornemisza) dialogue avec son inspiratrice, la célèbre Femme au miroir de Titien (vers 1515, Musée du Louvre).
Peintre partisan, artiste fasciné par l’Italie, Rubens est également un homme savant et sa boulimie intellectuelle dépasse la sphère des beaux-arts. Il écrit quantité de lettres, noircit d’idées les pages de ses carnets, poursuit divers projets de livres. Consacrant un ouvrage aux pierres et gemmes antiques, il se prend de passion pour le Grand Camée de France (14-37 après J.-C., Bibliothèque nationale de France). L’objet enthousiasme le peintre, qui le grave et l’étudie sous toutes les coutures. À cet intérêt pour l’antique s’ajoute celui pour la botanique, l’astronomie ou les contrées lointaines. Si l’on oublie un instant leur portée religieuse, les portraits des deux jésuites réalisés par son atelier paraissent presque cocasses : immortalisés à leur retour d’une mission en Asie, les deux Flamands prennent une pose très digne, drapés dans leur improbable costume de lettré chinois (vers 1617, Musée de la chartreuse de Douai).
Gentleman accompli
« La seule différence avec une exposition conçue pour le Louvre parisien, c’est d’avoir pu bénéficier ici de deux fois plus d’espace », soutient le commissaire. Pensé en contrepoint de la galerie du Temps, l’espace occupé est effectivement très vaste et ravira les amateurs de l’esthétique du Louvre-Lens. Libre à chacun d’apprécier ces salles sobres, à la scénographie on ne peut plus épurée, ou bien de déplorer la froideur du lieu et son minimalisme extrême. Force est de constater que ce parti pris fonctionne particulièrement bien dans la section consacrée aux décors monumentaux, ces œuvres souvent éphémères que Rubens et son atelier réalisent à l’occasion de fêtes aristocratiques et d’entrées royales. La dimension de la salle est à la mesure des espaces pour lesquels esquisses, tapisseries et tableaux furent conçus et permet au visiteur de bénéficier du recul nécessaire.
Enfin, un intéressant parallèle entre Rubens et le Bernin clôt l’exposition. Pour Blaise Ducos, le sculpteur est en effet « le seul véritable successeur de Rubens, ce monstre qui étouffait tous les autres ». Disposés côte à côte, les autoportraits de ces deux rois du baroque, fers de lance du catholicisme romain, sauvent une dernière partie un peu bancale. Ils nous livrent également deux visions très différentes de la représentation de soi-même. Rubens se peint en gentleman accompli, aristocrate anobli et satisfait, tandis que, sans artifice aucun, le ténébreux Bernin fixe le visiteur de son regard noir et profond.
Commissariat : Blaise Ducos, conservateur au département des Peintures du Musée du Louvre Nombre d’œuvres : 170 jusqu’au 23 septembre, Musée du Louvre-Lens, 99, rue Paul Bert, 62300 Lens,tél. 03 21 18 62 62, www.louvrelens.fr, tlj 10h-18h sauf le mardi. Catalogue, coéd. Musée du Louvre-Lens/Hazan, 350 p., 39 €.
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Rubens l’Européen
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Abonnez-vous dès 1 €Pierre Paul Rubens, Anne d’Autriche, reine de France, vers 1622, huile sur toile, Museo Nacional del Prado, Madrid - © Museo Nacional del Prado, Madrid.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : Rubens l’Européen